Faites attention à votre ADN.
Cela fait de nombreuses années que je me dis que je devrais écrire sur l’utilisation de l’ADN en généalogie, sur la généalogie génétique, car cela fait de nombreuses années que ce sujet controversé est au cœur de la pratique généalogique : de nombreux articles de blogs expliquent le fonctionnement scientifique de l’analyse, les résultats que l’on peut en attendre (si vous ne devez en lire qu’un seul, lisez celui-ci) et l’intérêt généalogique de cette recherche. De nombreuses entreprises étrangères se sont lancées sur ce marché et de nombreux généalogistes français y ont eu recours par correspondance.
Actuellement aucune entreprise française n’a le droit (à ma connaissance) de pratiquer des tests ADN en dehors du strict domaine de la santé. Mais on sent bien que Geneanet y pense, tellement fort et depuis tellement longtemps qu’ils rendent publique leur envie de se lancer : pétitions lors de la révision des lois de bioéthique pour l’autorisation des tests ADN généalogiques (plus de 1800 individus ont signé cette pétition à ce jour), appel en faveur de l’autorisation des test ADN à vocation généalogiques, et bien entendu étude sur le sujet à double objectif : prouver que c’est une véritable attente des généalogistes afin de peser dans la révision des lois de bioéthique et s’assurer que le marché français est mur avant de franchir le pas.
Vous le savez sans doute, je ne suis pas favorable à cette pratique.
Outre le fait que je pense qu’il ne s’agit absolument pas de généalogie (nous avons déjà pu en débattre sur twitter et nous pourrons encore en débattre, mais ce n’est pas le sujet de cet article, surtout que mon avis personnel sur la question semble balayé par l’enthousiasme général des généalogistes), je souhaite surtout insister ici sur les risques encourus, à mon sens, et qui prennent corps avec le deal qui vient de s’établir entre GSK et 23andme. En deux mots : GSK (le sixième groupe pharmaceutique mondial) vient d’investir pour $300 millions (et non pas racheter, la valorisation totale de 23andme étant estimée à $1,75 milliard) et obtient en échange le droit d’utiliser les données génétiques captées par 23andme. Mais pour faire quoi ? De la recherche, évidemment, et d’autres choses, sans aucun doute.
Des questions importantes à se poser.
Une question que cela pose est centrale dans la recherche génétique : à qui appartiennent réellement vos données génétiques, et comment peut-on les exploiter ? Aujourd’hui, sans doute que ces données sont protégées, que leur utilisation est rigoureusement encadrées, et que tout ne peut pas être fait. Sans doute peut-on faire confiance aux entreprises qui étudient votre ADN. Sans doute peut-on être rassuré par la législation actuelle concernant ces études. Et sans doute doit-on être rassuré par le fait que ces études ne concernent pas tout votre génome. Mais n’oublions pas qu’une entreprise se rachète, que les CGU d’un service se modifient, que des deals se forgent (on vient d’en voir un exemple concret), que les lois changent (révision des lois de bioéthique) et, surtout, que l’ADN se conserve ad vitam æternam. Ainsi, votre ADN pourra tout aussi bien être analysé dans 50 ans, quand les lois et les entreprises ne seront plus du tout les mêmes qu’aujourd’hui, et quand le séquençage intégral deviendra aussi facile que de faire un ionogramme sanguin.
La question du consentement n’est pas non plus anodine : l’ADN donne des informations sur votre personne, plus que de simples informations d’ailleurs : l’ADN dit tout de vous, votre passé (le but recherché en généalogie) comme votre futur (par exemple la probabilité d’avoir telle maladie). Mais ce n’est pas tout, elle donne aussi des informations sur vos proches, sur votre famille, vos frères et sœurs, vos enfants (ceux que vous avez, et ceux que vous aurez), qui eux n’ont pas du tout donné leur consentement à ce que votre ADN soit analysé. Et pourtant cela les concerne grandement.
L’ADN est la donnée ultime du big data.
Sachez le : la possession et l’exploitation des données génétique est le graal du big data, et l’ADN est la donnée ultime : facile à stocker, déjà “informatisée” nativement (le fameux “code génétique” ATCG) et donnant la totalité des renseignements biologiques. Je suis sur que les entreprises actuelles dont le fond de commerce est le commerce de vos données personnelles (Google, Facebook, et tous les autres) ne rêvent que de posséder en plus votre ADN. D’ailleurs, notez bien que Google a déjà investi dans 23andme, c’était en 2007 et cela tombait déjà sous le sens.
Qui d’autre a intérêt à investir dans cette donnée ? Les laboratoires pharmaceutiques, évidemment, surtout à l’heure du phenomapping, et puis bien sûr les assureurs : plus ils en connaissent sur vous, plus ils vont vous faire payer cher. C’est d’ailleurs dans cette optique que vous remplissez un questionnaire médical ou que vous avez parfois besoin d’une expertise médicale ou d’une consultation médicale avant un prêt.
Les assureurs veulent aller toujours plus loin dans la connaissance de leurs clients : c’est pourquoi en 2014, AXA avait proposé une ristourne pour ceux acceptant de porter un bracelet connecté. L’idée est simple : en étudiant vos données, j’évalue mieux le risque de vous prêter de l’argent. Je peux vous dire en tant que cardiologue, que rien que l’analyse de votre activité physique quotidienne (le nombre de pas que vous faites par jour) et votre fréquence cardiaque au repos et à l’effort, me permettrais de stratifier facilement votre risque cardiovasculaire. Dans ce contexte là, vous pensez bien que les assureurs rêveraient de posséder et de séquencer votre ADN : ils sauraient tout de vous, sans que vous ne puissiez mentir.
Qui peut se payer ces données ?
Objectivement, ces données sont très précieuses, et valent donc très cher (300 millions pour avoir l’autorisation d’utiliser les données génétiques mais sans les posséder, c’est franchement énorme). C’est pourquoi vous devriez être encore plus méfiants : rares sont ceux qui vont pouvoir se les payer, mis à part les fameux GAFAM, les laboratoires pharmaceutiques et les grandes compagnies d’assurances. Ceux-là mêmes qui en bénéficieraient le plus.
Mais pourquoi est-il si pessimiste ?
Vous devez vous dire que je suis particulièrement pessimiste, et que j’exagère. Vous avez raison. J’exagère et je suis pessimiste. Mais je vais vous raconter une histoire simple, basique. C’est l’histoire d’un patient de 50 ans, dont, un jour, un interne avait écrit sur le compte rendu d’hospitalisation qu’il était suspect d’être porteur de la maladie Brugada. Une maladie pour laquelle le risque de mort subite est extrêmement élevé. Toute sa vie durant il a été refusé de toutes les compagnies d’assurance, on lui a systématiquement refusé tout prêt, sa cotisation mutuelle était incroyablement élevée. Toute sa vie, ce mot l’a suivi et l’a empêché de vivre normalement.
Il n’était pas porteur de cette maladie.
Cet interne s’en veut encore aujourd’hui, et il est devenu professeur. Il nous a toujours enseigné d’être prudent et de ne pas écrire d’hypothèse diagnostique, seulement des certitudes, dans les comptes-rendus parce que l’on peut ruiner des vies.
Ce que je veux dire, tout simplement, c’est qu’il faut se méfier de ce qui brille, parce que parfois, on peut le regretter. Ce que vous avez de plus cher, de plus précieux, c’est votre ADN. Faites-y attention.
PS : mais faites aussi ce que vous voulez, si vous en avez envie et que vous pensez que c’est utile, foncez !
13 comments
Bonjour !
je trouve particulièrement cynique que ces entreprises, premièrement fassent payer les tests, en nous faisant croire que nous en sommes les bénéficiaires, alors que justement ce sont nos données qui leur permettent d’avoir plus de demandes, des bases de données plus grandes et par là une entreprise qui vaut des milliards. Et, deuxièmement, nous fassent croire à un “cadeau” quand ils baissent les prix, accélérant par là le processus 1.
Même si je suis très curieuse des résultats que pourraient avoir un test génétique, je suis encore plus effarée de voir toutes ces conséquences. Et tous ces tests effectués “par curiosité” (j’en ai vu pas mal autour de moi) et dont les demandeurs jugent mal les conséquences que les résultats peuvent avoir sur eux (déclaration d’une maladie, d’un lourd secret de famille, d’interrogations qui n’ont pas lieu d’être suite à des résultats imprécis…). Encore une grande course en avant sans “principe de précaution”.
Merci pour votre article qui met en mots ce que je ressentais confusément.
Bonjour Clément
J’ai poursuivi sur le blog de FGW http://www.francegenweb.org/blog/index.php?post%2F2018%2F09%2F26%2FADN-et-G%C3%A9n%C3%A9alogie-Xe
Merci Guillaume de cet article qui éclaire un peu plus les volontés de Geneanet. Il est certains qu’ils souhaitent grossir, grandir, et sans doute ne pas se faire avaler par un plus grand qui aurait la volonté de réinvestir le marché français. D’où, à mon sens, la rentrée au capital de Filae et l’extension à un business lucratif.
Mais attention à l’image de marque de la société : à trop changer, on peut détériorer son image.
Bel article de fonds!
A titre personne, j’ai toujours considéré que la généalogie était le produit d’une histoire personnelle, d’un regard sur cette histoire, de la rencontre avec des faits historiques et d’une construction patiente et très personnelle.
Donc l’ADN n’a pas sa place…
Oui, ce débat entre généalogistes est intéressant d’un point de vue philosophique parce qu’il questionne sur la définition que nous avons, chacun, de la généalogie. Certains y voient une quête stricte de la filiation, d’autres un prétexte pour faire de l’Histoire etc. Cela nous questionne sur nos envies, notre vision, et notre pratique. Je pense que, schématiquement, deux groupes s’opposent un peu : ceux qui n’y voient pas d’intérêt généalogique car non ancré dans une démarche de quête d’historien, et ceux qui y trouvent un intérêt, car rapproche le concept de filiation biologique avec la filiation historique.
Chacun voit midi à sa porte. Moi, je pense comme vous.
Cet article a de toute façon pour objectif surtout de mettre en garde contre le don de ses données personnelles qui peut, à terme, porter préjudice.
J’espère que nos politiques nationaux et européens vont encadrer d’éventuelles dérives d’utilisation de données, dans la lignée du RGPD.
En plus aux Etats-Unis ces données sont utilisées indirectement dans des affaires criminelles: https://www.cbsnews.com/news/april-tinsley-murder-police-crack-cold-case-with-cutting-edge-genealogy/
Même si on peut être content d’avoir retrouvé un meurtrier, est ce que cela doit passer par des données collectées par des entreprises privées?
La question de la sécurité est une question permanente. Peut-on, au profit d’une amélioration de notre sécurité, accepter de perdre des libertés ?
Doit-on, au profit d’une amélioration de la sécurité routière, accepter des puces GPS embarquées dans nos automobiles afin de connaitre les excès de vitesse en temps réel ?
Doit-on, au profit d’une amélioration de la prévention des meurtres, collecter l’ADN de toute une nation ?
Ce sont vraiment des questions compliquées, je trouve. Et je ne suis pas sûr que la réponse de la majorité soit la meilleure.
Il y a quelque temps, j’ai vu fleurir en ligne sur des chaines de Youtubeurs connus des videos sur leurs analyses ADN, faites comme ca juste pour le fun. Ca m’avait mis en rage. Faire une analyse ADN n’est pas juste fun et recreatif, c’est une prise de risque avec ce que vous avez de plus personnel et que vous partagez avec votre famille. Le minimum, c’est de vraiment réfléchir à ce que ca signifie avant de se lancer.
Chaque fois qu’on m’interroge sur le sujet, je commence par une longue mise en garde. Faire analyser son ADN n’est en aucun cas un acte futile et sans consequence, et avant de décider de le faire, il importe de se poser des questions. Celles que tu évoques sont importantes – j’ai toujours eu très peur de 23&me, et je suis sûre que les autres sociétés peuvent être rachetées, ou changer de politique commerciale , et je sais que l’ADN que je leur ai confié n’est pas en sécurité.
Ceci étant, de nos jours, plus rien de notre vie n’est protégé, à moins de vivre en autarcie complète au fin fond du Larzac 🙁
Une société française qui ferait ses tests serait elle plus à même de protéger nos données les plus intimes ? Je n’en sais rien.
J’ai choisi – après plus de 6 mois d’interrogations et d’hésitation – de faire ces tests, et je continue malgré tous les résultats positifs que j’en ai tiré au niveau de la connaissance de mon histoire familiale, à ne pas être totalement sereine sur le fait de l’avoir fait.
Et merci d’avoir cité mon article 🙂
Ton article est pour moi une référence, tu le sais.
Je trouve que l’argument “de nos jours plus rien n’est protégé” toujours un peu léger, sans offense, parce qu’il laisse la porte ouverte absolument à toutes les dérives possibles ! Je pense qu’on peut (et mon opinion personnelle et qu’on doit) mettre des limites strictes. Des limites dictées par la population.
Après, bien entendu, chacun voit midi à sa porte et fait son choix en connaissance de cause. Mais il faut avoir vraiment conscience des conséquences potentielles.
Bonjour et merci beaucoup pour cet article. Pour ma part, je considere que comme bien souvent il y a du pour et du contre..
En revanche, Brigitte, vous indiquez ” malgré tous les résultats positifs que j’en ai tiré au niveau de la connaissance de mon histoire familiale”. Puis-je vous demander, si vous le voulez bien, ce que vous en avez retire particulierement? Grand merci
Cela faisait un moment aussi que je souhaitais écrire sur l’ADN, mais je l’aurais beaucoup moins bien écrit que celui-ci.
Le captage des données est le nouvel eldorado pour les entreprises. Google (et avant eux Fitbit) sont surement ravis de connaitre mon nombre pas quotidien, le nombre d’étage, ma fréquence cardiaque au quotidien. Mais même si le sujet m’intéresse, je me suis toujours refusé à faire un test de généalogie génétique, principalement pour la raison que tu exposes.
Même si je me dis que d’ici une cinquantaine d’années (l’échéance que tu évoques), un séquencage à la naissance pourrait bien devenir une réalité, pour “prévenir” l’enfant des risques à venir (voir avant même la naissance !)
Que les entreprises pharmaceutiques s’intéressent fortement à ses données, c’est somme toute logique. Ce qui me freine au plus haut point, c’est l’usage que vont avoir les sociétés d’assurances (et ce qui sera inventé par d’autres).
Tu évoques les GAFAM. Il ne faut pas oublier que leurs patrons sont pour la plupart des partisans du transhumanisme (pouvoir vivre par delà la mort) . La connaissance du génome et de notre patrimoine est donc un passage obligé.
Tu te vois comme pessimiste (au moins sur ce sujet). Je citerais une maxime lu je ne sais plus où: le pessimiste est un optimiste qui a de l’expérience.
Les patrons des GAFAM sont des mégalos : ils veulent le transhumanisme, la conquête spatiale, inventer de nouvelles énergies, et développer une médecine révolutionnaire. C’est d’ailleurs pour cette caractéristique (la fameuse “vision” d’entreprise) qu’ils sont recrutés. C’est naturel de vouloir développer ce qui viendra après. La seule chose qu’il nous reste, c’est de réfléchir à cet après, et de pointer du doigt ce qui parait excessif.